Critique de lecture : Hiro Arikawa, Au prochain arrêt, Actes Sud (2008)
Traduction française du japonais par Sofie Rèfle
Avis : 5/5
Une lecture plaisante, qui se lit le temps d’un trajet en train. J’adore les recueils d’histoires courtes, mais j’ai d’abord été décontenancée car je pensais avoir acheté un roman. C’est finalement avec plaisir que j’ai découvert que ces histoires étaient toutes cousues de manière discrète mais habile – c’est là que l’on reconnaît le talent d’écriture d‘Hiro Arikawa. Finalement, l’auteur japonais nous livre un roman varié mais qui n’a rien de décousu – on pourrait dire qu’il à la forme unie et raccordé d’un train et de ses différentes rames, la forme rejoignant ainsi le fond.
Chroniques d’un voyageur en train à destination des voyageurs-lecteurs.
Prenant moi même souvent le train et ayant écrit sur des passages de petite ligne de train régionaux (TER lio occitanie SNCF) que j’emprunte tous les jours, j’ai été touchée de voir un livre se centrer précisément sur ce thème que je rêverais d’aborder. Nous donnant à voir la vie des différents passagers, l’écrivain semble exorciser le questionnement permanent des voyageurs réguliers de ces petites lignes de campagne. Toute personne ayant un jour pris les transports en commun sera amusée de remarquer que chaque heure à sa « faune », ses réguliers, ses habitués, son atmosphère, que les personnages, comme le lecteur, ont appris à connaître par cœur. Les gares, tout comme le paysage de la ligne, font partie intégrante du tableau, voire semblent devenir des personnages à part entière dans certains passages, nous montrant combien la répétition de ces moments anodins de notre quotidien peut finir par en constituer un bloc important, tout comme les drames ordinaires se jouent dans des lieux ordinaires, que nous empruntons tous les jours.
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À mon sens, présenter comme pour un trajet un aller et un retour est le point fort de Au prochain arrêt, car c’est cet aspect qui permet d’unifier et de donner leur plein sens aux histoires présentées. Une autre réussite du roman à mon sens est de s’inspirer d’une ligne de train qui existe réellement au Japon (la ligne Takarazuka – Nishinomiya), ce qui permet au lecteur de faire ce « pélerinage » s’il en a envie et d’en découvrir de ses yeux les paysages décrits au fil des saisons. Finalement, c’est à se demander si le train ne jouerait pas ici un rôle symbolique : présentant des personnes parfois perdues dans leur vie ou à des moments de changement, que le train vient diriger, provoquer ou accompagner.
Au prochain arrêt : introspection
J’irais jusqu’à projeter un peu : je me suis toujours sentie entre deux mondes. C’est pourquoi j’aime autant les trains, qui font office d’entre-deux entre de périodes de mouvements et de décisions à prendre. Parce que c’est un endroit en mouvement dans lequel le passager n’a pas d’autre choix que de rester assis, il se fait le lieu idéal de l’introspection et de la méditation sur soi-même et l’existence – ainsi, celle qu’Hiro Arikawa écrit dans Au prochain arrêt fait office d’invitation pour le lecteur à faire de même. Mais après avoir posé le livre… On se dit qu’on s’arrêtera au prochain arrêt, pour se retrouver à faire l’aller-retour complet. L’invitation à s’arrêter dans notre quotidien occupé (peut-être pour prendre le livre) se situe dans le titre même.
Un pépite propre à la littérature japonaise
Au prochain arrêt réussi un tour de force que je n’ai jusque-là trouvé que dans la littérature japonaise : écrire un roman à l’atmosphère douce, nostalgique et quotidienne, qui vient pourtant aborder les sujets les plus mondains comme les plus sensibles. Il faut beaucoup de talent et de style pour arriver à écrire sur un sujet aussi banal qu’un train sans ennuyer le lecteur. Plein de sagesse et infiniment vivant, qui a lu Hiro Arikawa prendra désormais les transports en commun en regardant son écosystème autrement.
Barbara Ferreres, 2024, tous droits réservés.