Écrits pour jours de pluie

Parce qu'un jour l'averse cessera de tomber.

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Textes à cacher quand le matin vient

Journal de la double invisible vie d’une autrice ordinaire, qui décrit la réalité cachée, fantasmée des addicts, lgbt, suivis psychiatriques, addicts. Barbara Ferreres vise à sensibiliser le grand public quant à ses catégories, souvent traités d’assistés, de faibles, d’erreurs, mais pourtant négligés par la société et cachés dans des institutions.

Quotidien fantasmé de l’addiction chez les personnes queer, cette écrivaine contemporaine catalane donne à voir la réalité de cette vie, souvent double vie cachée, dont beaucoup ignorent les enjeux impliqués car il n’y sont jamais confrontés. Elle ouvre par les textes de sont journal nocturne longtemps caché « à cacher quand le matin vient » les portes d’institutions qui sont fermés pour qui n’y est pas confronté afin de défaire les mythes, les clichés, et finalement nous rappeler que les marginalisés, les personnes handicapées, ne sont pas toujours sur les trottoirs ou en institution, mais sont des membres actifs de la société qui les dénigre souvent sur des idées toutes faites ou des idées négatives sur les cas extrême d’addiction ou de troubles mentaux, auxquelles les représentations médiatiques ont beaucoup joué.

  • 01/08/2023 / 02/08/2023 – Vomir dans le Thalys Paris-Belgique / Chez moi on parle Néerlandais

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    01/08/2023 / 02/08/2023 – Vomir dans le Thalys Paris-Belgique / Chez moi on parle Néerlandais

    J’ai la tête vide. Quand je dis ça, vous pensez à un grand carré blanc où à un grand carré noir ? C’est comme l’analogie du verre, sauf que le mien est tout le temps noir.

    C’est vide de plein. Trop plein. Mais parfois ça déborde pas, alors toutes les interactions extérieures ricochent comme d’autant de pierres lancées lancées et la souffrance inévitablevroummmmmmmmmm
                       mmmmmmmmmm
                                  mmmmmmmmmmmm
                                                         //tlanch!
    brbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrbrtututrrrrrrrrbrrrrrr[inintéligible]

    Et moi j’espère que vienne le silence de mes sens. Mes yeux sont fatigués, ils ne demandent qu’à se fermer. Ma mâchoire serrée. Peut-être que je vais casser toutes mes dents si j’augmente la pression.

    Les minutes les plus longues sont les attentes fatiguées, les cinq dernières avant qu’arrive la fin d’un cours où ce maudit bus, celles pendant lesquelles on t’empêche de raccrocher ton tel ou de partir de chez ton pote relou ET les quelques minutes qui séparent l’obtention de la drogue de son achat. Einstein avait raison quand il parlait de la relativité du temps parce que la c’est toutes les époques qui se déroulent en même temps.

    J’ai les mains et la mâchoire toujours serrées.

    Le bus ça me détend. A part ma maman. On a pas la même rythme. Je me sens chez moi. Un pays entre deux. Mais lui-même. C’est tout à fait moi.
    On descend à Kalenbergstraat. Mais d’abord je dors.

    On a pas joué à un jeu. Touriste, pas touriste. Je pense que j’ai gagné mais on ne saura jamais. C’est pas comme si on était allées leur demander. C’est comme la maison. J’ai inventé tellement d’hypothèses sur la vie de notre hôte basées sur mes observations et ce qu’elle nous a indiqué. J’ai demandé à ma mère qui semblait fatiguée, bha non, c’est des observations, tu fais ça tout le temps aussi non ? Parfois. Oui mais tout le temps ? Elle non.

    Je suis fatiguée et pourtant il faut que je me saigne les veines ici pour pas mourir. Maman a dit qu’elle prendrait bien une douche. Ça a l’air reposant, une douche. J’en prendrais bien une si je ne devais pas écrire. C’est aussi une douche, mais sans nier le côté sensuel de l’écriture, face au ruissellement de l’eau chaude sur la peau, relaxant les muscles meurtris par une longue journée de marche y’a pas photo.

    On est descendues du bus et avons rejoint Dilbeek par un petit chemin et maman a sir que c’était agréable de pouvoir sentir l’odeur de l’humus et voir la verdure parce que chez nous il faut aller en forêt pour avoir ça. J’ai pensé que chez moi c’était normal, parce que chez moi on parle néerlandais. Mais je pense que elle aussi elle n’habite pas chez elle. On a grandi pendant qu’elle nous parlait d’ailleurs. Alors parfois je pense qu’on est deux SDF de cœur sous un même toit. On a retrouvé un refuge où il était possible de survivre. On est de la mauvaise herbe, ce qui reste quand le reste a fané. Mais ce n’est pas parce qu’une plante est là qu’elle s’épanouit. Parfois je regarde le caoutchoutier dans la salle de bain, avec sa feuille unique tendue vers la lumière, et je me dis que je partage avec lui quelque chose de plus qu’humain. 

    J’ai allumé ma clope sur le retour et le nonchalant ciel mitigé est tout d’un coup devenu très chalant et nous a accueilli ma mère, mes achats et mes clopes (le journal est mouillé) sous les trombes d’eau. En Belgique, tout est si lent est relaxant. J’ai dit à mon hôte que tout était tranquille, ou alors, c’était elle je ne sais plus, et l’une de nous deux a acquiescé. Le sujet était clos et sur ce nous sommes rentrées. Maman a peur de me déconcentrer mais l’on ne peut qu’accompagner quelqu’un qui vomit. Car c’est de ça qu’il s’agit. De diarrhée verbale, depuis hier. C’est l’air du Nord qui me rend mes sens . Peut-être aurais-je été un génie si j’étais née à Norveje. Mais je suis née à Dijon et je n’ai pour moi que la moutarde. C’est déjà pas mal. Je serais déjà morte sans ma saloperie de mauvais caractère.
    Nous avons écrasés nos mégots au même endroit et nous nous sommes silencieusement glissées dans nos chambres. Deux réalités bien distinctes qui se croisent et se côtoient tous les jours mais ont été condamnées à ne plus jamais être mêlées quand le Docteur a coupé le cordon ombilical.

    Au moment de prendre soin de moi je veux me peindre (j’ai écrit me pendre et barré, lapsus ?) de rouge, devenir un zèbre humain. Paint it red. Red of love. Paint of blood. Ça tombe bien l’amour j’en ai pour tout le monde mais pas moi. Je veux être belle. Je veux être mince. Je veux être le pendant entre la mort et la vie car c’est ce que je ressens au fond. Je suis déjà loin des gens, contagieuse comme une sorte de zombie. Je suis en marge.

     

     

    C’est mon nouveau normal.

    Le matin est tombé comme toujours. Avec l’humidité il fait froid le matin. Aucune motivation pour sortir. Rester dedans profiter du mauvais temps, maman a dit qu’elle faisait ça, mais chez elle. Mais ici moi je suis chez moi.

    Ici le temps se prête à rester chez soi. Gezellig. Ça me manquait le thé avec le ciel gris comme couverture.


  • 11/12/2023 – Encore une soirée

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    11/12/2023 – Encore une soirée

    Repas entre coloc, With or Without you vient de se lancer et je repense à cette soirée où je vomissais des mots incohérents depuis le département des soins intensifs après avoir été aux portes de la mort cinq heures plus tôt J’ai failli mourir, et maintenant ce n’est qu’un fantôme parmi l’armée de mes souvenirs. « Je vais me suicider », je dis au néerlandais. « Mets Doe Maar, je suis te paris que tu ne connais pas » je dis avec certitude, ma meilleure amie néerlandaise et les disquaires m’ayant montré à multiples reprises que je connaissais mieux leur musique que la plupart des néerlandais. Il ne connait pas et je feins un niveau de surprise approprié. 

    Je décide de ne pas jouer au jeu de cartes. Je me suis forcée à venir. J’ai pleuré toute la journée à cause du manque. Je suis déprimée de remarquer qu’une douce soirée ne fait qu’aggraver ma solitude. Elle est si intense, comme-si j’étais la seule personne sur Terre. J’ai encore pleuré discrètement sur le canapé.

     

    Sans l’écriture, je ne serais pas à table. L’ambiance tamisée me rappelle les bars à l’ancienne, et l’ex auberge de montage de mon tonton, perdue suite à des conflits de voisinage, remplie de trophées de chasse que je méprise pourtant, mais qui me manquent aujourd’hui comme tout ce qu’on sait qu’on ne verra jamais plus. Ça me donne envie de fumer, comme dans ce à l’ancienne miteux de Heildeberg, en Allemagne, qui autorise encore les cigarettes à l’intérieur. J’y ai volé deux livres pour améliorer mon Allemand. Je ne les ai pas lu, et sans doute jamais parlé Allemand aussi mal de ma vie. L’alcool et les paris nous réchauffent dans l’austérité du froid alsacien.

     

    Le sentiment qui est alors le mien ne diffère pas trop de celui que j’ai pu ressentir pendant chacune des festivités amicales auxquelles je suis allée. Vivifiée, intégrée, mais profondément seule, comme marquée du signe de la bête, qui me condamne à ne jamais profiter de l’innocence et de la spontanéité de ces jeux de soirée. Les anglais ont le mot sonder pour décrire la réalisation que tous les inconnus que nous croisons ont une vie indépendante de la notre; mais y en a-t-il un pour celui qui accompagne celle que nous sommes tous condamnées à être seuls à jamais, ayant des tortuosités de notre esprit qui ne seront accessible à personne d’autre que nous, et qui seront effacées à notre mort sans laisser de trace ? Les psychiatres appellent ça Dépression Chronique. Autisme. Trouble de l’attention avec hyperactivité. Moi j’appelle ça la condition humaine, bien que si ce n’était pas pour l’écriture et le langage, je douterais même que ma nature me permette de m’en réclamer. Comme un voyage au bout de la nuit, de l’humanité

     

    Ma présence griffonnante dérange. On me supplie presque de jouer, « moi qui connait les cartes ». Je me trompe une première fois, preuve indéniable que je ne suis qu’humaine – en oubliant que cela a été la seule erreur. S’il faut lire les gens, alors ce n’est pas difficile. Le comportement humain, c’est comme une langue apprise sur le tard : à jamais plus facile à comprendre qu’à parler soi-même.

     

    Sur un dernier éclat de rire, je me retire. Pourquoi je ne reste pas ? Je ne peux plus contenir les émotions qui sont miennes. Je me demande si je ne saurais jamais un jour recevoir l’amour que l’on me porte et ses défaillances. Dans ma vie je suis comme dans une gare, éternelle voyageuse en correspondance, en attente d’appartenance.


  • 29/07/2023 – Tribulations nocturnes à deux heures du matin

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    29/07/2023 – Tribulations nocturnes à deux heures du matin

    Je repense à ma vie, parce que c’est souvent ce qu’on fait la nuit et quand je ne dors pas trop je ne dors pas du tout. Ma vie est en manque de structure totale, c’est un peu comme être à l’hôpital psychiatrique sauf que je suis chez moi et que les infirmières pleurent ou m’envoient des messages sur Discord quand je déconne.

    Franchement c’est fatigant, les paradis artificiels me manquent, où j’en abuse où j’y pense avec lassitude. Ils ne me quittent jamais. Faudrait que je sorte de mon lit. Que j’aille en thérapie askip (j’y suis déjà, mais pas pour les bons trucs, parce que j’en ai trop). J’ai pas envie qu’on me force à arrêter de faire ma vie. J’aimerais juste qu’on me laisse être auto-destructrice et profiter de bonheurs artificiels parce que faire de vraies choses c’est long et de toute manière j’ai jamais compris comment le monde tournait sans que tout le monde ne se mette à hurler en permanence tant on souffre et que rien à de sens.

    Mes amis, ils souffrent,aussi. Pourquoi suis-je la seule à me détruire ?

    Quand on dit ça on dirait une enfant gâtée. J’ai eu 18 au bac. 15 en licence. J’ai implosé en master mais je tournais à 17. J’ai travaillé à deux endroits dans mon domaine et fait un stage et obtenu pléthore de lettres de recommandations. Mais ça marche pas, rien n’est jamais assez, je fais tout pendant qu’au fond de moi mes entrailles me hurlent que j’ai envie de me tuer. C’est vraiment ce que vivent les autres ?

    Après, peut-être pas, vu qu’on m’a reconnu le handicap.

    Mais je me demande, est-ce que c’est à vie ? Est-ce que je vais progresser ? On continue de me dire que oui mais j’ai envie de mourir devant le collège et le seul progrès que j’ai fait c’est d’avoir tout sabordé et y être presque arrivé.

    J’ai envie de la douceur des opiacés.