Écrits pour jours de pluie

Parce qu'un jour l'averse cessera de tomber.

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Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de ma mort. On m’a dénié mon statut de morte, parce que mon cœur bat dans ma poitrine. En vérité, c’est plus simple pour la société de prétendre que ma mort n’a jamais existé. Eux n’entendent pas, le soir, leur mère sangloter.

En tant qu’amoureuse des opiacés, de « junkie » même si certains n’aiment pas ce mot, j’en ai ma claque de l’image que ça renvoie, du mode de vie. Déjà ; ce n’est pas glamour. Demander de l’argent à tout le monde, c’est humiliant. Il y’a le mépris de la famille, les mêmes qui font des punks héroïnomanes leurs héros. Dans la sphère familiale et sociale, j’existe entre deux impératifs : « être clean » (sans aide, bien sûr, bien), ou « pas clean » (pas bien, sans aide, bien sûr). Tandis que l’héro m’apaise plus que les antipsychotiques « tu as meilleure mine » « tu es allée tellement loin » et que je n’arrêterais pas si mon porte-monnaie pouvait le supporter. Et encore.

Je n’ai pas le bon profil pour le junkie. Tous mes médecins n’ont jamais pris mes problèmes d’addiction au sérieux – après mon overdose il y a un an, quand je vomissais mes tripes à l’hôpital psychiatrique où en m’avait envoyé, faute de savoir quoi faire de cette étrangeté. Plus de neuf mois plus tard je n’ai pas de traitement, parce qu’on ne m’a pas écouté. Paie son loyer. Vêtements propres. Société fauchée. Société pressée. Asceptisée.  Débrouille-toi la débauchée 

Sèvre-toi à la dure, crève pendant les manques, subit l’humiliation constante, si tu étais une vraie tu serais sdf ou tu serais morte. Les crises de mania dans ta tête quand t’es en manque te feront interner si le médecin est pas de bonne humeur. C’est toujours comme ça.

Si tu es trop, tu meurs. Si t’es pas assez, tu n’existe pas, on te laisse dans les limbes des manuels médicaux qui disent le pire des gens de ton espèce. Peut être que s’ils voyaient que c’est un problème global, qu’on est tous à péter les plombs différemment, ça irait. Mais eux ont tenu médecine, alors qu’est-ce qui pourrait être pire que le renvoi pour un peu de bonne foi ? En France, les blouses blanches sont signes de santé. Au Japon, c’est la couleur du deuil. J’ai fait le deuil de tout ce que je ne pourrais jamais récupérer, de ces jobs où j’ai été virée, de ces docteurs qui ont refusé de me prendre ou de m’écouter sauf pour m’hospitaliser, et maintenant, j’ai le temps d’être énervée pour tous ceux qui ne sont plus là pour en parler, mais personne ne semble être présent dans l’assemblée.

Alors je vais prendre le micro et parler pour les morts ou les fantômes de la société, comme moi. Les « menteurs », « pas fiables », « pas fréquentables ». T’a pas la tête d’une addict dis-donc ! Merci pour ton travail de prévention ! Mais aidez-moi en fait vous ne réalisez pas que je suis à deux doigts de la détention, toujours forcée à l’aliénation ? Pourquoi les vies de merde c’est cool que à la télé ? Pourquoi tu me dis « c’est au premier shoot » pour après taper 800km pour me faire la leçon parce que j’arrive pas à décrocher ? J’ai parlé à beaucoup. On est nombreux. Vivons cachés, vivons heureux. Le soir, je n’ai plus que la chaleur du briquet chauffant la cuillère et ce délice marron-doré pour me soulager, car personne ne veut me soutenir, je suis coupable de tout, mais capable de rien, à part cuisiner l’héro, et ça on me le rappelle tout le temps. J’ai su que même le processus d’obtention de la méthadone ne m’aiderait pas quand l’assistant m’a dit qu’il ne connaissait pas l’héro, attendait que j’arrête toute seule et reprenne ma vie. C’est ma vie. J’aimerais ne pas arrêter. On m’y oblige. Alors je vais aux centres. Et on me fait attendre. Les salles d’attentes, les feuillets de prévention qui servent à rien et les capotes gratuites, ouais, ah. Je sais pas à quoi je m’attendais quand même le docteur qui me monitorait en soins intensifs a refusé de me parler et que le psychiatre a parlé à ma mère plutôt qu’à moi à presque trente ans. Trop coupable pour être enfants, infantilisés, mais trop irresponsables pour être des adultes. Je suis un être multiforme. Alors je vais faire ce qu’on attend de moi. Prendre ce que je peux et écouter ma cassette préférée (mon aînée) en boucle jusqu’à entendre les oiseaux chanter, en espérant que l’encre qui coule permettra d’ancrer cette réalité chez au moins une personne non concernée.

En attendant, je serais chez moi. J’ai du courrier. Ma banque pour mon découvert, les impayés, les rendez-vous médicaux, les messages d’hospitalisation de mes proches, les messages de décès, ça prend du temps à gérer. Quand ils me disent qu’aujourd’hui j’ai l’air d’aller, j’ai envie de les envoyer chier, parce que qu’est-ce que t’en sais, derrière ton siège rembourré ? Toi t’as bossé pour être là, moi mes proches le décrivent comme l’anatomie d’une chute alors que je ne suis jamais allée aussi bien. Alors dis-moi, dis-moi ce que je dois faire, parce qu’à priori, je ne sais pas, sinon je ne serais pas là. J’ai failli plus être là.

Je m’étais dit que y’avait pas pire que l’héroïne. J’ai trouvé comment commander sur des sites chinois obscurs, pour faire des économies, des zenes, plus forts que le fentanyl, dont j’ai fait les premiers reports en français sur psychoactif. Qui envahissent les États-Unis, l’Europe, que les désespérés fauchés prennent pour le prix ou sans le savoir, quitte à exploser sa tolérance. L’addiction m’a changé. Ma dépression m’a changé. J’ai cru que je voulais mourir. J’ai essayé de me suicider. J’ai fait de l’hopital psychiatrique. Malgré plusieurs peurs, j’ai continué. Et puis, la fois de trop. Le coma conscient. Le ptsd. Le narcan essayé en dernier. L’épaule seule qui bougeait. Le centre hospitalier de Perpignan. La ventilation artificielle invasive. Pas savoir comment respirer. Détresse respiratoire. Les soins intensifs. Le coma conscient ignoré. Je me suis vu mourir. La décharge expédiée. Moi je n’oublierai jamais. Les infirmières étaient euphoriques à mon réveil. Inattendu. Pronostic vital engagé. Je me revoyais mourir. Je continuais d’utiliser. La nuit, je cyclais sur comment j’avais failli foutre ma vie en l’air pour rien. Comment j’avais soudainement voulu vivre. L’impuissance. La sensation bizarre d’être à la maison à l’hôpital. Diagnostic de CPTSD. Ça tourne en boucle. La molécule tellement inconnue que l’addictologue prend des notes, zenes de merde. Je me dis que peut-être ça aidera quelqu’un. J’ai fini ce qui me restait de la molécule qui avait failli me prendre la vie, et je me sens à jamais hantée par les opiacés. Le fantôme hanté, imperméable au paradoxe.

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de ma mort. Un non-anniversaire, une note dans un fichier médical, une mort niée, me laissant entre-deux, un fantôme parmi les vivants. C’est pourquoi aujourd’hui, je voulais écrire pour les autres fantômes et oubliés du système, pour allumer ma lanterne et nous éclairer plutôt que d’en souffler la bougie.

Barbara Ferreres
Author: Barbara Ferreres

I’m an eatherable mass belonging to nowhere (better known as Barbara Ferreres) and the unreliable narrator of its own descent into the margins of society. It’s not that badn you should come and grab a tea sometimes. I love working with people, email me at tombelapluiepoetry@gmail.com. I would love it!

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